Interview : Mark SaFranko et le digital

Mark SaFranko


Jeff Balek
La littérature connait de grands changements, et plus particulièrement avec la multiplication des livres numériques. Vous-même, lisez vous « en numérique »?
Mark SaFranko
Jusqu’ici, je n’ai pas acheté un lecteur numérique. L’idée ne s’est pas encore imposée à moi. Je suppose qu’à un moment donné je vais devoir capituler – si c’est la seule manière de lire un livre que je veux lire. Sinon je ne me vois pas le faire parce que je suis probablement vieux jeu. J’aime glisser un livre dans une poche de mon pantalon et je ne sais pas si j’aimerai autant le faire avec un lecteur numérique. D’ailleurs, j’aime l’odeur du papier et l’ouvre présente sur la couverture.

J.B.
Pensez vous que les livres numériques représentent un danger pour les livres traditionnels en particulier et la littérature en général? Pensez-vous que cela représente une opportunité de démocratisation de la littérature?
Mark SaFranko
Je dirais que oui, les livres numériques sont un danger pour les livres traditionnels, mais pas nécessairement pour la littérature. Les gens vont continuer à écrire, peu importe quoi, et maintenant qu’il y a plus de débouchés que jamais, il y a d’une certaine manière une forme de ce que vous appelez la démocratisation.
Le problème bien sûr, avec ce scénario, est que pour obtenir un livre remarqué, vous avez besoin d’un puissant appui, c’est là que les éditeurs entrent en jeu. Ce n’est pas une réflexion sur la qualité du livre, bien sûr. Plus gros est l’éditeur, plus grandes sont les piles de conneries qu’il veut publier. Et la raison pour laquelle les livres numériques sont aussi fortement mis en avant c’est que l’éditeur veut gagner de l’argent. Chacun devra acheter un appareil électronique pour lire. C’est de l’argent dans les poches des éditeurs. Vous ne pouvez pas partager le livre, autant que je sais, c’est plus lucratif. Ils n’auront pas à stocker des piles de livres, c’est encore plus de profit. C’est l’idée générale.
Mais je suis réaliste.
Je crois en l’impératif technologique. La technologie avance toujours, peu importe vers quoi. Nous n’écoutons plus beaucoup de vinyles ou de CD. Finalement, nous lirons tous des livres numériques. C’est la manière dont l’édition va tenter de rester en vie.
Par ailleurs, l’édition numérique va progresser beaucoup plus facilement ici en Amérique qu’en Europe.
Ici en Amérique que nous aimons les gadgets. « Regardez tout ce que fait ce truc! »
Nous nous soucions moins du contenu du livre que le fait que nous avons quelque chose de nouveau avec lequel jouer. En Europe, c’est différent, je crois. Les gens continuent de lire dans un pays comme la France.

J.B.
Pensez-vous qu’avec le numérique, la littérature et par là même le métier d’écrivain, vont évoluer?
Mark SaFranko
Je ne vois aucune preuve d’évolution de la littérature. Il y a sans doute de la place pour plus de prises de paroles, mais cela n’a rien à voir avec l’évolution intellectuelle. Je ne peux imaginer des livres comme « La Montagne magique» ou «À la recherche du temps perdu » publiée aujourd’hui. C’est difficile à supporter pour les auteurs. A peu près tout dans la littérature a déjà été fait. Je pense que la question la plus importante est, y aura-t-il encore quelqu’un pour lire des romans et des histoires dans cinquante ans? J’ai des doutes.

J.B.
Je me tourne maintenant vers l’artiste aux multiples talents que vous êtes. Est-ce que le numérique a enrichi vos œuvres?
Mark SaFranko
Pour moi, en tant que musicien, les éditions numériques m’ont sauvé grâce à la modicité relative des outils de production de ce que je diffuse. Alors oui, il m’a aidé énormément. Sans ces avancées numériques je ne jouerais que pour moi puisque je n’ai pas joué régulièrement devant le public durant ces dernières années.

J.B.
Quelle est votre dernière œuvre publiée en numérique en France?
Mark SaFranko
Mon dernier roman en France, God bless America (Dieu bénisse l’Amérique) est disponible sur immateriel.fr

Mark SaFranko (sur 13° Note)
Mark SaFranko est un tenace. Il a notamment résisté à des relations perturbées, des menaces de mort, une santé mentale fragile et des dizaines de boulots alimentaires.
Il puise ses histoires dans un abîme assez sombre : sa propre existence. Cette vie d’errance a nourri une œuvre vaste, l’homme ne s’arrête jamais d’écrire. De ce marathonien du verbe, son ami Dan Fante dit qu’il «préfère écrire que respirer».
Au compteur, une centaine de nouvelles, des wagons de poèmes, des essais, des romans dont plusieurs polars, une douzaine de pièces de théâtre, montées et jouées principalement off Broadway mais aussi en Irlande.
Mark est également musicien, acteur et peintre à ses heures. 59 ans en 2009, il vit à Montclair, dans le New Jersey, avec sa femme et son fils.

Son dernier ouvrage
Dieu bénisse l’Amérique.
Ce livre raconte l’enfance rude de Max Zajack (héros de Putain d’Olivia et de Confessions d’un loser, et alter ego de l’auteur) dans une enclave d’immigrés pauvres de Trenton (New Jersey). La vie des Zajack est une succession de mésaventures, de faux départs, de projets voués à l’échec. Max n’espère rien et n’obtient rien. On le suit à l’école catholique, où l’enseignement qu’on lui dispense n’est qu’une sinistre plaisanterie, puis dans le monde du travail où il exerce des emplois humiliants, sans perspective d’avenir. Il n’y a presque pas d’espoir dans ce livre, mais on s’attache à Max pour son ironie mordante, ses loufoqueries, sa curiosité et son instinct de vie. Ce roman  est un miroir tendu à une société sans âme, gangrénée par les valeurs matérielles, pervertie par la quête du luxe et de la réussite. Il nous arrache à notre confort et nous met face à la manière indigne dont sont traités ceux qui refusent la norme. Une fois encore, SaFranko ne ménage pas son lecteur dans ce récit explosif. Il nous secoue, nous « prend à la gorge et serre jusqu’à ce que les larmes coulent ».Un roman drôle, absurde, tragique.

Son site
MarkSaFranko.com

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